Immersion dans la vie du ballet de l'Opéra national de Paris, travail réalisé de novembre 2003 à juillet 2005. Qu'est ce qu'une belle photographie ? C'est celle où ceux qui la regardent entrent en résonance avec l'émotion du photographe au moment du déclic. Le travail de Gérard Uféras nous plonge dans le coeur même de la Danse. À travers le rare privilège de se mêler aux figures de cet art, il nous offre, tant dans la proximité que la profondeur, des images totalement personnelles. Il s'y révèle une exceptionnelle richesse imaginative. Gérard devient un second chorégraphe avec sa propre vision et sa propre science de la distribution des corps dans l'espace, selon les lumières et la géométrie gestuelle. Mais il y a aussi les moments où la danse s'arrête, où la tension s'apaise, où la fatigue produit des relâchements si émouvants, où se révèlent à la fois les caractères des êtres et leurs fragilités. C'est alors que sa sensibilité nous touche au plus profond. Il nous offre des figures d'êtres qui nous ressemblent, avec nos faiblesses, notre quête de rapprochements imprévus, amicaux ou amoureux. Lorsqu'une telle fusion s'établit entre l'esprit et le coeur, c'est qu'on se trouve en présence d'un très grand artiste. On voudrait employer un mot très fort, mais on n'ose pas, alors on dit qu'on est devant le grand mystère qui se nomme la Grâce. Willy Ronis photographe Préface de Brigitte Lefèvre au livre "Un pas vers les étoiles": "Gérard Uféras a accompagné le Ballet de l'Opéra national de Paris tout au long d'une saison. Des studios de répétitions où s'élabore le spectacle jusqu'aux coulisses et en tournée au Japon, il a côtoyé les danseurs et a posé son regard sur des instants de leur quotidien qui échappent à la vue du spectateur. Il dévoile ainsi, avec sa propre sensibilité, des lieux et des êtres libérés de tout artifice. Il nous entraine dans des recoins inconnus du public, mais familiers des artistes de cette maison : les salles de travail portant chacune le nom des personnalités qui ont participé à la gloire du Ballet tels que les studios Lifar, Petipa, Noureev, Franchetti, les rotondes Chauviré, Zambelli, mais aussi dans le Foyer de la danse où avant chaque représentation les danseurs se retrouvent pour l'échauffement. Au fil des pages, ses clichés retracent le travail permanent, parfois éprouvant, souvent exaltant, qui rythme les journées du Ballet et laisse progressivement place à l'éclosion du spectacle. Des coulisses, il a surpris la concentration qui précède l?entrée en scène, les regards, les gestes, les attitudes, miroirs des émotions, de l'effort ou du relâchement. Toute une vie qui se prolonge de l'autre côté du rideau. De cet ouvrage découle un témoignage sur la Compagnie : plus qu'une troupe, on y découvre des personnalités, une famille, où la complicité entre les danseurs, les liens qui unissent l'Ecole de danse au Corps de ballet, la collaboration entre tous ceux qui font le spectacle, se dessinent à travers des moments privilégiés que le photographe a su saisir au vol et restituer fidèlement. C'est à la rencontre de cet univers, où se profile une autre magie, que j'invite le lecteur. Je souhaite que chacun puisse ainsi approcher d'un peu plus près les artistes qui font de cette Compagnie ce qu'elle est aujourd'hui." Brigitte Lefèvre, Directrice du ballet de l'Opéra national de Paris "Et si la danse était d'abord l'art des contradictions ?" par Gérard Mannoni "D'origine sacrée, la danse fut très vite condamnée par les églises qui l'accueillirent pourtant dans leurs sanctuaires. Créatrice d'images éphémères qui s'effacent dès qu'elles prennent corps, elle est aussi ancienne dans l'histoire de l'homme que le dessin et précède sans doute la parole qu'elle remplace fort bien même pour faire passer un message politique. Langage du corps et de la sensualité, elle vise cependant à l'immatérialité et à l'abstraction, appelle au rêve. Génératrice d'une technique forgée par l'effort, elle ne traduit que facilité et aisance. En des temps où transmission et communication sont dominées par la machine, elle demeure, anachronique, un art initiatique , défendu par un peuple d'artistes où apprentis et maîtres collaborent davantage dans l'esprit des artisans du Moyen Age que de celui des multinationales du troisième millénaire. Une compagnie de danse, en spectacle, en voyage, en coulisses , en répétitions, au cours, c'est donc un monde à part, peuplé de créatures qui tiennent du papillon, du sexe symbole et de l'athlète, un monde très proche et très loin de nous, où toutes ces données bouillonnent à tous les niveaux du conscient et de l'inconscient, L'art du photographe nous en transmet l'incroyable diversité et la vie, saisissant et fixant des fractions infinitésimales de secondes qui sont autant de moments d'éternité. L'histoire de l'humanité le raconte et bien des civilisations extra européennes en témoignent toujours : la danse a, dès ses origines, manifesté la volonté de l'homme de dialoguer avec les divinités. En Orient, en Afrique ou dans les civilisations antiques, voire préhistoriques, tournoiements, sauts et gesticulations plus ou moins codifiés furent toujours au-delà de manifestations festives, une tentative visant à entrer par la transe en contact avec les dieux. Danseuses sacrées asiatiques, bacchantes grecques, prêtresses égyptiennes ou griots africains, tant d'autres aussi, tous avaient leur rôle d'acteur ou d'organisateur de célébrations dansées conçues comme un moyen de communiquer avec les dieux. Le phénomène est général, même s'il l'on peut noter que Romains et Gaulois ne s'y illustrèrent que marginalement. Ce caractère sacré de la danse est présent dans la Bible même, ne serait-ce qu'avec David. Dès lors on aurait pu s'attendre à ce que l'avènement du christianisme s'inscrive dans la logique de ces traditions et de ces rites. Bien au contraire, et cette contradiction en engendra même une autre. Dès les débuts de l'ère chrétienne, l'église condamne et interdit la danse. C'est une première phase du rapport tumultueux, évolutif, controversé , qu'elle entretiendra toujours avec le corps. Au fil des siècles, cette condamnation prendra les diverses formes accompagnant l'histoire de la civilisation et du christianisme. Mais, comment ne pas s'en étonner, on verra toujours l'Eglise organiser elle aussi ses propres danses. Les lettrines de certains livres d'heures de monastères au Moyen-âge nous montrent de charmantes rondes de moines se tenant par le petit doigt. En plein XVIme siècle, sous la redoutable Inquisition, ne voit-on pas le corps de ballet de la cathédrale de Séville aller demander au pape qu'on lève l'interdiction qui lui est faite de continuer à se produire. Cela implique qu'il se produisait? et il a gain de cause. Les religieux accompagnant les conquérants de l'Amérique du Sud n'hésitent pas davantage à transformer les fêtes païennes locales en processions dansantes qui entraînent le peuple des places publiques au coeur des cathédrales nouvellement construites. Sans parler des danses macabres aux haltes des pèlerinages ou de celles qui s'intégraient dans les Mystères sur le parvis des cathédrales. Au XVIIe siècle , les Jésuites eux-mêmes organisaient avec leurs élèves des ballets de cour dans certains de leurs collèges. Evoluant au fil du temps, cette relation doublement contradictoire du christianisme et de la danse n'a jamais été rompue ni, d'ailleurs, vraiment clarifiée. Aujourd'hui, encore, personne n'est choqué de voir chorégraphier les Passions de Bach ou le Requiem de Mozart,même si l'on ne danse plus dans les couvents. Rien n'est plus éphémère qu'un pas de danse. Il est en devenir permanent , inscrit dans le déroulement du temps. A peine est-il commencé qu'il est déjà en voie d'achèvement. Une ronde,  même primitive, meurt dès qu'elle se fige. Que durent un piqué arabesque, une attitude ? Un dixième de seconde ? Et un grand jeté ou un saut qui nous semblent suspendus dans les airs ? Guère plus. Un équilibre tenu deux ou trois secondes semble une éternité. Est-ce vraiment la peine ? Et pourtant , ce vocabulaire si insaisissable , élaboré avec le temps mais venu très tôt spontanément à l'homme lui a servi, quand il prit forme de spectacle dans nos civilisations, à incarner, d'abord sous couvert d'allégories , puis très ouvertement, mille histoires romanesques, mais aussi des épisodes historiques réels et à faire passer des messages politiques assez forts pour déclencher des guerres civiles ou initier des alliances. De La Délivrance de Renaud illustrant celle de Louis XIII sortant de l'enfance, à la Table verte, à Spartacus, au Détachement rouge et autres productions soviétiques ou chinoises, cet art de l'éphémère a aussi gravé l'histoire des hommes. Contradiction frappante entre un vocabulaire qui s'efface au fur et à mesure qu'on l'écrit et la valeur historique des messages dont il est le porteur et le gardien. Même si tant de chorégraphes actuels cèdent à la tentation de faire parler les danseurs, la danse est d'abord le langage du corps et donc de la sensualité. Déjà dans bien de ses formes sacrées, elle préparait, prévoyait, voire même représentait une union du corps avec la divinité. Le corps immobile de la peinture ou de la statuaire est loin d'avoir le même impact que le corps en mouvement. Souvent nu dans les rites antiques, puis vêtu dans la danse spectacle, puis peu à peu de nouveau dévêtu jusqu'au retour fréquent à une quasi et même complète nudité aujourd'hui, il engendre forcément une relation sensuelle, donc concrète, entre l'interprète et le spectateur, une fusion entre sensation et imagination. Et ainsi, la danse n'est-elle pas avec la musique le langage artistique le plus immatériel, le plus apte à l'expression abstraite, à l'émergence du rêve , à une représentation de la dimension ontologique de l'homme ? On peut même dire que les plus grands créateurs contemporains, en exploitant cette apparente contradiction des possibilités expressives du corps humain, ont su aussi bien représenter les angoisses les plus intimes de l'homme contemporain que les aspirations religieuses ou mythiques des plus anciennes civilisations. Lorsqu'elle parvint, au cours du XVIIIe siècle, à émerger comme un art du spectacle autonome enfin libéré de l'opéra, la danse acheva de fixer ses codes avec une rigueur et une précision toujours plus rigoureuses. La technique dite « classique », base incontournable, même pour ceux qui la détournent, la renient ou la haïssent, est construite selon une logique de l'effort. Chacun sait les longues années d'apprentissage nécessaires, la régularité quotidienne de l?entraînement, la dureté d'un univers où la douleur corporelle est présente de mille manières, où il faut apprendre à la surmonter, à la gérer. Et tout cela pour qu'en scène, ce soit une image absolument opposée qui apparaisse, celle de l'aisance, de la facilité, du naturel. Ceux qui ont eu la chance de pouvoir assister à un spectacle de danse depuis les coulisses, expérience magique, savent que la créature immatérielle, séduisante, qui se joue de son corps et des muscles avec une facilité déconcertante face au public, peut se transformer dès qu'elle resurgit entre deux pendrions, en un corps exténué, suant, haletant, capable de s 'allonger à même le sol qu'il marque de l'empreinte humide de son effort, avant de bondir à nouveau avec la même légèreté et la même énergie vers les lumières de la scène. Enfin, n'y a-t-il pas aujourd'hui une ultime contradiction entre les avancées des technologies de communication les plus contemporaines dont les danseurs sont si friands et qu'utilise si volontiers le monde de la danse de mille manières, et le caractère fondamentalement initiatique d'un art où la relation directe de maître à élève reste irremplaçable ? Les danseurs forment une population en majorité jeune. Souvent à l'occasion de leurs tournées en pays asiatiques, ils adorent s'équiper de tout ce que l'électronique peut fournir de plus moderne en matière de téléphones, de baladeurs, de téléviseurs, d'ordinateurs, d'enregistreurs. La vidéo s'est fait une place primordiale elle aussi dans le domaine de la transmission et de la préservation du répertoire, et même de la création chorégraphique. La plupart des grandes compagnies enregistrent et diffusent désormais leurs principaux spectacles. Bien des chorégraphes refondent et créent des oeuvres spécialement pour l'image filmée. Et bien sûr, la plupart des danseurs commencent par s'initier à la chorégraphie d?un ballet du répertoire en la regardant sur cassette. Et pourtant, c'est toujours dans le rapport direct du maître et du danseur, ou du chorégraphe et du danseur, que se forgent une interprétation ou une création. Irremplaçables, le mouvement exact qu'il faudra reproduire et que montre celui qui en détient la vérité, la main qui rectifie la position du bras ou de la tête au millimètre près, la parole qui réprimande ou encourage, l'autorité de la présence d'un illustre aîné dont l'art fut peut-être à l'origine de votre propre vocation. Nous sommes ici dans le monde du contact humain direct, aussi bien physique que psychologique, de l'influx mystérieux qui passe d'un corps à un autre, de la sensibilité d'un artiste à celle d'un autre artiste, d'une expérience acquise à la demande ardente d'un savoir en formation, aux antipodes, c'est évident, de la relation ou de l'échange établis par un SMS, un courrier électronique ou une image sur écran. Alors, comment le photographe va-t-il se saisir d?un art et d'un univers aux données aussi contradictoires ? Par l'instantané qui va capter le saut ou le pas à la seconde où la perfection est atteinte ? C'est utile et ça peut être beau. Par la recherche au contraire d'un flou impressionniste cherchant à traduire la fluidité du mouvement ? Ce peut être une bonne manière de rendre le climat d'une scène ou d'une oeuvre. Par le travail de savants éclairages qui vont sculpter le corps du danseur comme le ciseau d'un Michel Ange ? Voilà encore un hommage intéressant rendu à l'un des aspects forts de la danse. Mais toutes ces approches, aussi positives qu'elles soient, n'englobent pas la complexité de l'art dont on vient de survoler les multiples contradictions. Mieux vaut, pour celui qui veut que son regard soit aussi fidèle que possible à cette complexité, tenter de capter , selon sa propre sensibilité et sans idée préconçue, les mille instants qui constituent la vie d'une compagnie, dans son travail, dans ses spectacles, dans ses voyages, dans ses moments d'effort et de détente, dans ses actes individuels ou collectifs, dans le morcellement d'un mouvement, en cadrant telle partie du corps soudain touchée par la grâce d'une position, d'un éclairage, de l'ornement d'un costume. Ni catalogue ni reportage, son oeuvre devra se situer sur l'arachnéenne frontière entre sensation et imagination, concret et abstrait, passé et présent, profane et sacré. L'enjeu est de taille. Il faut autant d?instinct que de patience, de spontanéité que de science. Mais celui qui réussit sait qu'à son tour, il est entré dans le cercle magique où siège l'âme de la danse depuis les premières rondes sacrées de la préhistoire." Gérard Mannoni

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